28 sept. 2012

Éblouissant roman, par Franck Aria


Éblouissant roman de Stéphane Zagdanski. Son nouveau livre, "Chaos brûlant", montre en mots les sombres coulisses d'un monde en constante décrépitude, mais aussi les collisions d'intérêts entre la publicité, le spectacle, la Finance, le travail à la chaîne et le crime désormais globalisé, ou encore entre la psychiatrie, la publicité, l'économie, la Technique et le nazisme. Bref, il éclaire de mots la scène cataclysmique de ce monde-écran, spectacularisé au point d'abolir toute pensée. Il montre comment l'abjection vacuitaire de la Finance est un gouffre à l'intérieur duquel le monde s'engouffre.


La hauteur de vue de l'écrivain – grâce aux jumelles de sa pensée, de son witz et de sa réjouissante érudition, amplifiée notamment par celles de Kafka, de Artaud et de Heidegger – nous donne à penser sur la lobotimisation généralisée du genre dit humain dont l'instinct de fond, à savoir le goût du sang, n'a pas évolué d'un iota depuis des millénaires. Hitler, ce grand publicitaire adulé des foules à travers les âges, inspire donc – en ce moment même – l'actuel désastre planétaire qu'est le néo-libéralisme, lequel a remplacé à son avantage, par pure commodité démocratique, la chambre à gaz par l'Audio visual factory, le spectacle de gladiateurs par le Home studio à décerveler.

Stéphane Zagdanski y dissèque la généalogie du Crime. Ses mots se font scalpels. Le Monde, cet asile de fous contemporain, passé et en cours de consolidation démente, y est épluché, analysé comme jamais, désossé par la verve débridée d'un Sac d'Os (nom donné au narrateur du livre).
DSK, qui sert ici de révélateur dans la grande affaire du Mal, n'est en définitive qu'un pauvre pion au service de la Finance, infiniment remplaçable et d'ailleurs aussitôt remplacé.

Le chapitre clef qui selon moi condense à lui seul ce réseau maléfique : Histoire de la psychiatrie à l'âge nazi. Ce chapitre, qui révèle l'histoire macabre de l'antisémitisme, projette (ou devrait projeter) le lecteur en avant, en plein sur la scène contemporaine où se fomente l'ordre du crime final en cours d'arraisonnement, celui du chiffre contre la Parole.

Après avoir lu ce livre en tout point éblouissant – lequel se laisse volontiers lire en riant, là est d'ailleurs et précisément son grand tour de force –, après avoir lu ce livre donc, il me semble entendre des bas fonds sourdre la sourde complainte médiatique et maligne, celle de la crispation énervée du diable en personne. Car si le diable – à savoir le genre humain désormais aphasique ? – s'aime d'être Spectacle, il déteste voir son jardin secret mis à nu par le Verbe, le diable exècre la sainteté du geste scripturaire.

Le Verbe détermine l'Homme. Ne plus habiter le Verbe, c'est consentir à n'être que machine, machine évidemment rentable et infiniment monnayable. Céline, en grand prophète génial qu'il est, ne parle que de ça dans l'entretien que je viens tout juste de reposter ici-même (en provenance du site de Maxence Caron).

Bonne lecture lumineuse.
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