MyBOOX: Qu’est-ce que Chaos brûlant ? Un roman ? Une fiction ? Un essai ?
Stéphane Zagdanski : Chaos brûlant est un véritable roman. Tout en est inventé, je pourrais même dire que le fil rouge du roman, à savoir l’affaire DSK elle-même, est inventée puisqu’elle est réélaborée depuis le cerveau du narrateur, un psychotique ayant la particularité de deviner, ou de croire qu’il devine, ce que pensent les gens à leur propre insu.
Ce personnage, nommé "Sac d’Os", tatoué des pieds à la tête d’un squelette, pénètre dans le cerveau des protagonistes et revoit tout ce qu’ont pu faire les personnages de cet invraisemblable été 2011. Il va revivre, de l’intérieur, toute l’affaire DSK, et en particulier la scène de la suite 2806. Il pénètre tour à tour dans le cerveau de DSK, de Nafissatou Diallo, plus tard de Brafman, de Sarkozy, d'Anne Sinclair, etc., sachant par exemple ce que pense la femme de chambre au moment précis où elle fait une fellation à DSK.
Comment fait-il ? Comment pénètre-t-on dans la tête de quelqu’un ?
Il y a une phrase de Proust qui m’a beaucoup inspiré et qui dit : "Les romanciers devinent à travers les murs". D’une certaine manière, je prête mon intuition romanesque à mon narrateur. Je ne me prononce pas en tant qu’écrivain, mais mon narrateur schizophrène a cette aptitude à se laisser traverser par le monde, et à lire dans les pensées tant il est sensible à la vibration de la parole humaine.
Stéphane Zagdanski : Chaos brûlant est un véritable roman. Tout en est inventé, je pourrais même dire que le fil rouge du roman, à savoir l’affaire DSK elle-même, est inventée puisqu’elle est réélaborée depuis le cerveau du narrateur, un psychotique ayant la particularité de deviner, ou de croire qu’il devine, ce que pensent les gens à leur propre insu.
Ce personnage, nommé "Sac d’Os", tatoué des pieds à la tête d’un squelette, pénètre dans le cerveau des protagonistes et revoit tout ce qu’ont pu faire les personnages de cet invraisemblable été 2011. Il va revivre, de l’intérieur, toute l’affaire DSK, et en particulier la scène de la suite 2806. Il pénètre tour à tour dans le cerveau de DSK, de Nafissatou Diallo, plus tard de Brafman, de Sarkozy, d'Anne Sinclair, etc., sachant par exemple ce que pense la femme de chambre au moment précis où elle fait une fellation à DSK.
Comment fait-il ? Comment pénètre-t-on dans la tête de quelqu’un ?
Il y a une phrase de Proust qui m’a beaucoup inspiré et qui dit : "Les romanciers devinent à travers les murs". D’une certaine manière, je prête mon intuition romanesque à mon narrateur. Je ne me prononce pas en tant qu’écrivain, mais mon narrateur schizophrène a cette aptitude à se laisser traverser par le monde, et à lire dans les pensées tant il est sensible à la vibration de la parole humaine.
Chaos brûlant est aussi un roman sur le combat entre la Parole et le Chiffre. Le Chiffre c’est tout ce qui est du côté de DSK, du FMI, de l’argent, de la finance, de la dévastation du monde. Et la Parole c’est tout ce qui est du coté du narrateur, de la littérature, du verbe, de la poésie, de la folie mais au sens poétique du terme et du langage.
C’est un roman qui parle beaucoup de sexe également, et de manière parfois très crue… Pourquoi?
Parce que le sexe est omniprésent dans l’affaire DSK. On sait tout de la sexualité de cet homme. Je n'ai aucune raison de me montrer plus pudibond que ce que les médias ont raconté et révélé pendant un an. Au départ, c’est une banale affaire de mœurs: un homme s’en prend sexuellement de manière violente à une femme qu’il ne connaît pas. Il n’y a aucune raison de ne pas l’évoquer.
La sexualité vécue sur ce mode-là, c’est-à-dire entièrement dissociée de l’amour, c’est avant tout l’un des travers de notre temps, un des multiples aspects de la folie de l’époque. Aujourd’hui un gamin de 8 ans peut voir sur Internet des films pornos d’une brutalité et d’une sauvagerie absolue. (…) Cette sexualité folle et affolée est d’ailleurs incarnée par l’un des personnages du livre que j’aime beaucoup, qui est très touchante : Goneril, la fiancée du narrateur. Goneril vit sa libido sous la forme à la fois d’un délire et d’une supercherie. On la voit et on l'entend faire l’amour avec Sac d'Os, et l'on s’aperçoit qu'elle délire. Et le narrateur, qui l’observe froidement en même temps qu’elle lui fait l’amour et le dépucèle – il est fou donc il est froid – s’aperçoit à la fin que le sexe n'est "qu'une vaste et drolatique supercherie."
N’est-ce pas un peu radical comme point de vue ?
C’est la vision que je donne de la sexualité aujourd’hui, telle qu’elle se répand dans le monde. Et elle n’a pas de raisons d’être moins aliénée que les autres aspects du monde. Les rapports entre les corps et les êtres n’ont pas de raisons de ne pas être touchés par la démence universelle qui caractérise l'humanité aujourd'hui. C’est la même démence, par exemple, qui fait que l’on aperçoit dans les rues des gens qui sont de plus en plus tatoués. Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce que cela signifie que le corps contemporain ait besoin de se recouvrir d’encre ? Alors que ces mêmes personnes sont de moins en moins habitées par l’écriture. C’est-à-dire par l’encre qui, en Occident et dans de nombreuses civilisations à travers le monde, servait avant tout à écrire sur du papier.
Vos personnages ont des dons étonnants… Que pouvez-vous nous dire sur eux ?
Les fous de la clinique psychiatrique de Manhattan, où se déroule en grande partie l’action du roman, sont les amis du narrateur. Ce sont des gens – tous psychotiques, schizophrènes – qui se prennent pour quelqu’un d’autre possédant un avis pertinent sur l’état du monde. Par exemple, il y en a un qui se prend pour Karl Marx. C’est lui qui, au cours du roman, va donner la clé de l’écroulement de la finance et de l’économie mondiale. Il y en a un autre qui se prend pour Franz Kafka. Lui est plutôt intéressé par l’aspect mystique des choses, la manière dont les spiritualités humaines sont parasitées par le mensonge et la façon dont les gens sont possédés à leur insu.
Il y a aussi Sigmund Freud qui s’occupe du cas Sarkozy. Il va analyser la dénégation, la manière dont Sarkozy ment sur un mode délirant : il dit oui quand il pense non, il dit non quand il pense oui; et quand il dit qu’il a beaucoup pensé à quelque chose c’est que cela ne lui est jamais venu à l'esprit auparavant. C’est de la dénégation exacerbée mais cette dénégation-là est aussi celle de l’époque. Elle rejoint par exemple le cerveau de Goneril qui est gavée de publicité, et qui du coup ne sait plus faire la différence entre le vrai et le faux, entre le oui et le non, entre le bien et le mal, entre la richesse et la pauvreté. Toutes ses frontières mentales sont abolies, c’est aussi cela la globalisation.
Pourquoi avoir choisi de donner des pseudonymes à des personnages inventés et pas aux protagonistes réels du roman : les DSK, Sarkozy et Nafissatou Diallo que vous citez explicitement?
D’une certaine manière, ceux qui existent le plus dans ce roman, sont mes personnages inventés. Et ceux qui existent le moins, dans l’ordre de la parole, ce sont ceux qui miroitent sur nos écrans de télévision et d'ordinateur, à savoir les DSK, les Sarkozy… Il y a une sorte d’inexistence fondamentale des "pipoles". Ce sont des gens qui ont des existences visuelles et médiatiques hypertrophiées, alors que leur existence spirituelle et verbale est manifestement atrophiée. Cela se ressent dans la façon de parler, par exemple, de Sarkozy, dont j’ai repris beaucoup d’expressions ordurières. On sait quel est son rapport à la langue française et au langage. Il est désastreux. Nicolas Sarkozy est sans doute l’homme politique qui s’exprime le plus mal depuis un siècle. Or, en France la rhétorique politique, ça avait, jusqu'à lui, toujours compté.
Ces "pipoles" sont donc ceux qui ont le moins de substance, ils symbolisent cet engouffrement et cette dévastation dont traite Chaos brûlant. Alors ce n’est pas un hasard si mes schizophrènes inventés choisissent quelques grands noms de la pensée et de la littérature comme pseudos. Tout ceci constitue le mélange du monde d’aujourd’hui et d’un monde qui, s’il semble oublié, se rappelle au bon souvenir de nos contemporains.
Propos recueillis par Olivier Simon
C’est un roman qui parle beaucoup de sexe également, et de manière parfois très crue… Pourquoi?
Parce que le sexe est omniprésent dans l’affaire DSK. On sait tout de la sexualité de cet homme. Je n'ai aucune raison de me montrer plus pudibond que ce que les médias ont raconté et révélé pendant un an. Au départ, c’est une banale affaire de mœurs: un homme s’en prend sexuellement de manière violente à une femme qu’il ne connaît pas. Il n’y a aucune raison de ne pas l’évoquer.
La sexualité vécue sur ce mode-là, c’est-à-dire entièrement dissociée de l’amour, c’est avant tout l’un des travers de notre temps, un des multiples aspects de la folie de l’époque. Aujourd’hui un gamin de 8 ans peut voir sur Internet des films pornos d’une brutalité et d’une sauvagerie absolue. (…) Cette sexualité folle et affolée est d’ailleurs incarnée par l’un des personnages du livre que j’aime beaucoup, qui est très touchante : Goneril, la fiancée du narrateur. Goneril vit sa libido sous la forme à la fois d’un délire et d’une supercherie. On la voit et on l'entend faire l’amour avec Sac d'Os, et l'on s’aperçoit qu'elle délire. Et le narrateur, qui l’observe froidement en même temps qu’elle lui fait l’amour et le dépucèle – il est fou donc il est froid – s’aperçoit à la fin que le sexe n'est "qu'une vaste et drolatique supercherie."
N’est-ce pas un peu radical comme point de vue ?
C’est la vision que je donne de la sexualité aujourd’hui, telle qu’elle se répand dans le monde. Et elle n’a pas de raisons d’être moins aliénée que les autres aspects du monde. Les rapports entre les corps et les êtres n’ont pas de raisons de ne pas être touchés par la démence universelle qui caractérise l'humanité aujourd'hui. C’est la même démence, par exemple, qui fait que l’on aperçoit dans les rues des gens qui sont de plus en plus tatoués. Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce que cela signifie que le corps contemporain ait besoin de se recouvrir d’encre ? Alors que ces mêmes personnes sont de moins en moins habitées par l’écriture. C’est-à-dire par l’encre qui, en Occident et dans de nombreuses civilisations à travers le monde, servait avant tout à écrire sur du papier.
Vos personnages ont des dons étonnants… Que pouvez-vous nous dire sur eux ?
Les fous de la clinique psychiatrique de Manhattan, où se déroule en grande partie l’action du roman, sont les amis du narrateur. Ce sont des gens – tous psychotiques, schizophrènes – qui se prennent pour quelqu’un d’autre possédant un avis pertinent sur l’état du monde. Par exemple, il y en a un qui se prend pour Karl Marx. C’est lui qui, au cours du roman, va donner la clé de l’écroulement de la finance et de l’économie mondiale. Il y en a un autre qui se prend pour Franz Kafka. Lui est plutôt intéressé par l’aspect mystique des choses, la manière dont les spiritualités humaines sont parasitées par le mensonge et la façon dont les gens sont possédés à leur insu.
Il y a aussi Sigmund Freud qui s’occupe du cas Sarkozy. Il va analyser la dénégation, la manière dont Sarkozy ment sur un mode délirant : il dit oui quand il pense non, il dit non quand il pense oui; et quand il dit qu’il a beaucoup pensé à quelque chose c’est que cela ne lui est jamais venu à l'esprit auparavant. C’est de la dénégation exacerbée mais cette dénégation-là est aussi celle de l’époque. Elle rejoint par exemple le cerveau de Goneril qui est gavée de publicité, et qui du coup ne sait plus faire la différence entre le vrai et le faux, entre le oui et le non, entre le bien et le mal, entre la richesse et la pauvreté. Toutes ses frontières mentales sont abolies, c’est aussi cela la globalisation.
Pourquoi avoir choisi de donner des pseudonymes à des personnages inventés et pas aux protagonistes réels du roman : les DSK, Sarkozy et Nafissatou Diallo que vous citez explicitement?
D’une certaine manière, ceux qui existent le plus dans ce roman, sont mes personnages inventés. Et ceux qui existent le moins, dans l’ordre de la parole, ce sont ceux qui miroitent sur nos écrans de télévision et d'ordinateur, à savoir les DSK, les Sarkozy… Il y a une sorte d’inexistence fondamentale des "pipoles". Ce sont des gens qui ont des existences visuelles et médiatiques hypertrophiées, alors que leur existence spirituelle et verbale est manifestement atrophiée. Cela se ressent dans la façon de parler, par exemple, de Sarkozy, dont j’ai repris beaucoup d’expressions ordurières. On sait quel est son rapport à la langue française et au langage. Il est désastreux. Nicolas Sarkozy est sans doute l’homme politique qui s’exprime le plus mal depuis un siècle. Or, en France la rhétorique politique, ça avait, jusqu'à lui, toujours compté.
Ces "pipoles" sont donc ceux qui ont le moins de substance, ils symbolisent cet engouffrement et cette dévastation dont traite Chaos brûlant. Alors ce n’est pas un hasard si mes schizophrènes inventés choisissent quelques grands noms de la pensée et de la littérature comme pseudos. Tout ceci constitue le mélange du monde d’aujourd’hui et d’un monde qui, s’il semble oublié, se rappelle au bon souvenir de nos contemporains.
Propos recueillis par Olivier Simon