1. L'affaire DSK est encore
présente dans tous les esprits. A quel moment, et pourquoi, s'est-elle imposée
à vous comme un matériau propre à constituer le point de départ d'un roman ?
– Je guettais depuis longtemps l’occasion de rédiger une FMI, une « Fiction Métaphysique Instantanée » – un roman en direct interprétant minutieusement quelque fait divers crapuleux emblématique de notre temps. Je prévoyais aussi de consacrer un roman à l’argent, plus précisément aux ravages spirituels de sa transmutation financière. Très vite, vers la fin mai 2011, la déflagration de l’affaire DSK m’est apparue comme le prétexte idéal d’un tel roman. Tous les symptômes de l’effondrement de la civilisation occidentale s’y trouvent fusionnés dans la tragi-comédie d’un seul homme : une absurde sexualité machinale dissociée de tout raffinement langagier (on est aux antipodes de l’univers de Sade) ; une cécité existentielle maladive, propre de l’arrogante oligarchie qui mène la planète à sa ruine ; l’hypertrophie médiatique s’alimentant de son propre vide, dont l’abîme d’impensé occupe tout l’espace de la représentation et du commentaire ; la criminelle impotence politique accoutrée sous les oripeaux publicitaires de la communication la plus impudemment débile…
2. Quel genre de personnage littéraire est DSK ?
Faut-il le rapprocher du Sherman McCoy du "Bûcher des vanités" ? Du
Dom Juan ? D'un autre modèle ?
– DSK est une version appauvrie et grotesque du Roi
Lear : un homme qui se croit au
sommet d’une souveraineté dont il se dépossède par la démesure bouffonne de son
caractère, par sa surdité émotionnelle et par l’ignorance qu’il manifeste obstinément
de lui-même et des autres. Un homme que presque tous abandonnent, qui sombre dans
le désarroi et ne trouve plus refuge nulle part, tel DSK au sortir de Rikers
Island…
3. Comment
avez-vous travaillé pour ce livre, et en particulier pour ce qui concerne
l'affaire DSK en elle-même ? Quelle part tient notamment la licence romanesque
dans l'énoncé des faits et de la psychologie des personnages de cette affaire,
dont on attend encore aujourd'hui le jugement au civil ?
– L’affolement spectaculaire autour de cette affaire
hors norme – qui a dépassé en couverture médiatique les attentats du 11
septembre 2001 – et le rôle des nouveaux médias comme You Tube et Twitter étant
un thème important de mon roman, je me suis mis dans la peau d’un voyeur
absolu, décortiquant tout ce que je pouvais trouver concernant DSK sur
internet, mais appliquant à cette documentation cybernétique la critique acérée
de la Parole nourrie de littérature et de pensée. Je mets donc en scène de
pures images dont je réverbère les intentions les plus secrètes, dévoilant la
psychologie de mes personnages avec une licence débridée, celle du romancier
dont Proust écrit qu’il « devine à travers les murs », ceux en
l’occurrence de la suite 2806 du Sofitel de New York…
4. Par delà le personnage de DSK, vous évoquez la
folie de notre monde, mise en avant par l'hôpital psychiatrique de Manhattan où
se situe le narrateur du roman. Sac d'Os dit même que "l'apocalypse a déjà
commencé". A quoi la littérature peut-elle servir dans ces circonstances ?
– La littérature n’est d’aucune utilité dans un
monde où la Parole s’effrite parce que le Nombre a planifié son extermination. Autant
vouloir convaincre un trader de la beauté du poème Solde de Rimbaud consacré à « ce qu’on ne vendra jamais ».
En revanche, la littérature – quand elle sait ce que penser veut dire – est
seule en mesure de décrire, de décrypter et de rire de ce cataclysme universel.
D’un certain point de vue ce n’est rien, d’un autre c’est tout.
Stéphane
Zagdanski, le 1er août 2012
Interview par Julien Bisson
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